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vues de l'exposition over and other,

Bonus Le Grand Huit, Nantes, 2024​​​

over and other

over and other

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La bande sonore de over and other

     En mars dernier, Julien m’envoie une vidéo Youtube sans la commenter. Il s’agit de Lana Del Rey qui performe sa chanson Ride¹ en live sur un plateau télé. La chanson est magnifique, ce qui provoque en moi un début de légère obsession pour Lana Del Rey. Je sais désormais qu’elle a cru toute sa vie être Gémeaux avant de découvrir qu’elle avait soustrait quatre heures de trop, qu’elle a jeté tous ses pendentifs en diamants 24 carats en référence au signe Gémeaux, et s’est procuré tout plein de crabes en diamants, pour le signe du Cancer. Je sais aussi qu’elle est préoccupée par la mort depuis son adolescence, période à laquelle elle rencontre des problèmes liés à la consommation d’alcool. Je sais qu’elle a suivi des études de philosophie à l’Université Fordham, qu’elle a vécu quelques années dans un mobile-home et que son fond d’écran de verrouillage iPhone c’est une photo d’elle et de Billie Eilish.
Je réécoute souvent la version live de Ride et je suis toujours émue lorsqu’elle chante :

I hear the birds on the summer breeze, I drive fast

I am alone at midnight
Been trying hard not to get into trouble, but I
I’ve got a war in my mind

So, I just ride
[...]
Don’t leave me now (don’t leave me now)

Don’t say goodbye (don’t say goodbye)

Don’t turn around (don’t turn around)

Depuis mars dernier, j’associe les chansons de Lana Del Rey avec l’exposition over and other que prépare Julien. Cela fait plusieurs mois que je vois Julien composer sa nuit à l’atelier. Il découpe méticuleusement des morceaux de papier, qu’il teinte de noir aux profondeurs différentes, puis qu’il scotche, assemble et réagence. J’ai vu la nuit apparaître au fur et à mesure que j’écoutais Lana Del Rey chanter qu’elle était seule à minuit, fatiguée de conduire jusqu’à ce qu’elle aperçoive des étoiles dans ses yeux. Régulièrement, je regardais les étoiles se multiplier sur le mur d’atelier de Julien. Sa nuit correspond sûrement à une soirée d’été, où lorsqu’on passe devant une fenêtre ouverte, on a le pressentiment que quelque chose pourrait avoir lieu. L’attente d’une potentielle rencontre se rejoue ailleurs au sein de l’exposition, comme dans un poème-collage issu de la série dans la légende :

a mountain

hopes
for centuries​

Julien découpe dans des livres d’histoire de l’art des images, des légendes, des morceaux de textes, il occulte certains passages et ressort certaines lettres. Il agence des mots et des images, des carrés de papier. Un ami m’a récemment rappelé ce que Deleuze nomme justement « un agencement », j’ai l’impression que cette notion traverse d’une certaine manière l’exposition de Julien. Selon Deleuze, on ne désire jamais uniquement quelqu’un ou quelque chose, on désire toujours un ensemble. « Désirer c’est construire un agencement, c’est construire un ensemble [...] l’ensemble d’une rue, d’un paysage, d’une couleur, voilà ce que c’est un désir, c’est donc construire un agencement, une région... »² Désirer c’est aussi vouloir garder des images près de soi, en pensée ou sur papier.

Dans la case de bande-dessinée qui présente une scène de nuit, Julien a enlevé le personnage principal et la bulle pour ne garder que le personnage au second plan. On regarde ce que nous n’étions pas censé prêter attention à première vue : un passant. La figure du passant qui disparaît raconte aussi quelque chose de la possibilité avortée, d’une histoire non avenue. Cette fragilité liée aux contingences de l’existence se caractérise aussi dans les matériaux choisis par Julien : le papier, des bols brisés, des petites sculptures en porcelaine... Julien m’a raconté que le vase en papier intitulé fantôme marqué par des pliures, est à l’origine un sac à pain, qui était utilisé chaque samedi matin avant qu’il ne devienne trop fragile. Exposé tel quel, il présente un creux en soi, il montre le vide qu’il contient, à l’exception de deux petits chiens.

Derrière les récipients brisés et le dessin du vase blanc qui ne contient rien, se raconte une histoire du sentiment amoureux. Les cœurs qui sont aussi des larmes, des gouttes, des pétales, des glands sont peints à la gouache. Le papier est issu des pages de garde de livres, les mêmes qui précèdent le début d’une histoire. J’ai appris que les histoires d’amour que l’on vit ne correspondent pas à celles qu’on nous raconte. J’ai aussi appris que même si les histoires ont un début et une fin, cela ne signifie pas qu’on puisse les transformer en récit. Elles reviennent par morceaux, il me manque des dialogues, ce qui est censé arrivé a déjà eu lieu, ce que j’imagine ne se formule pas. La forme poétique, qui repose sur des césures à l’image des assemblages de Julien, me paraît plus adaptée pour raconter. Je pense à Toutes les zones écrit par Maggie Nelson :

« Je m’assois sur mon carnet, prête!
à le garder au sec. Premier éclair, puis plus fort!


les gouttes s’offrent une orgie de ronds
dans l’eau. Mon salut ne peut venir
que de moi
, as-tu dit, une idée
à double tranchant. Là où les gouttent tombent 

sur le papier, des points rouge clair apparaissent

Un grand mystère chimique

Sur toutes les zones que je n’ai pas réussi à couvrir »³​​

Il y a tout ce qu’on a pas réussi à protéger, il y a aussi peut-être la volonté de réparer. Dans l’exposition, trois bols sont empilés les uns sur les autres. Ce sont des objets brisés, qui ont eu un usage et qui n’en ont plus, à l’image d’un vase japonais du Ier siècle avant J-C conservé dans un musée et dont m’a parlé Julien. Les dessins sur les bols sont en boucle. Ils reviennent sans cesse sans début ni fin, comme lorsqu’on ressasse les mêmes choses, bloqué·e dans une histoire qu’elle soit finie ou non et dont on arrive pas à s’échapper. Julien a tenté de réparer les bols à la colle, en écho à la technique du kintsugi, une méthode de réparation des porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or. Kintsugi est aussi le titre d’une chanson de Lana Del Rey, elle rappelle qu’une fissure permet aussi une échappée : « like cracking that’s how the light gets in »⁴ . Si on décide de le traduire librement, le titre de l’exposition over and other peut se lire de différentes manières : par-dessus et autre, terminé et d’autres, encore et encore, là-bas et autre, au verso et autre, à vous et autre, divisé par et autre. Ces titres forment un rythme, une danse possible à la- quelle se rattacher. Parmi les images qui tournent en rond, il y a sur l’un des bols une ronde de personnes qui dansent ensemble. Elle raconte une dernière chanson de Lana Del Rey :

If you dance, I’ll dance

And if you don’t, I’ll dance

anyway

Élise Legal

___________________

¹ https://www.youtube.com/watch?v=ytWWX-y3oIk

² https://www.youtube.com/watch?v=tLlSRFLThYw

³ Maggie Nelson, Quelque chose de brillant avec des trous, Éditions du sous-sol, 2024

comme une fissure, c’est par là que la lumière pénètre

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de haut en bas : les ombres des voitures s'embrassent dans la rue, 2024, aquarelle sur papier, ruban adhésif, 118 x 158cm / les ombres des feuilles sont mangées pas les ombres des insectes, 2021-2024, aquarelle, encre de chine sur papier, ruban adhésif, dimensions variables / fantôme fou rire, 2024, sachet en papier, figurines en porcelaine, 24 x 35 x 18cm / myloveilove, 2024, gouache sur papier, carton bois, verre, carreaux, 48 x 30 x 6cm / endormi, 2024, pastel sur papier, carreaux, 90 x 86cm / vase, 2024, bols brisés, colle forte, 13 x 20,5 x 13cm / photos - Grégory Valton

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